Un carnet retrouvé, tenu jour par jour, va nous permettre de dire ce
que furent les exigences et les méfaits des autorités allemandes
; l'enchaînement des faits nous oblige à prendre le 31 juillet
1914 comme point de départ à notre récit.
Le vendredi 31 juillet les gendarmes de Marquion apportent au maire l'ordre
de rappel des permissionnaires et celui de départ pour les maréchaux-ferrants.
Le maire était alors M.Emile Loth , son adjoint, Monsieur Philippe Bucamp.
Le samedi 1 août on reçoit à 4 heures et demie de l'après-midi,
l'ordre de mobilisation qui fut exécuté les 3 et 4 août.
Le 25 août au matin on apprend l'arrivée des allemands à
Oisy-le-Verger et pendant deux jours passent des habitants de la région,
fuyant l'ennemi, qui annoncent le bombardement de Maubeuge et l'incendie de
Cambrai.
Le 27 août , une portion de notre 62e division passe le village en ordre
parfait. Deux patrouilles de cavalerie se rencontrent dans la vallée
de Pronville à Beaumetz, un uhlan et un dragon français sont trouvés
morts sur le terrain. Des automobiles de blessés venant de Bapaume se
dirigeant sur Arras.
Le 31 août deux Allemands fusil au poing, traversent le village dans une
automobile. La classe 1914 part pour Falaise.
Le 4 septembre, arrive pendant la nuit à Quéant un officier anglais
en uniforme (M.Drake) accompagné de deux soldats armés, restés
cachés à Marcoing, ils ont pu échapper aux allemands et
guidés par les gens du pays, ils pourront accomplir une mission auprès
du général en chef.
25 septembre, de nombreux avions passent au-dessus du village. Cent uhlans occupent
la ferme de l' Abbaye .
26 septembre, les allemands prévenus de l'arrivée des troupes
françaises quittent le village . A 11 heures du soir arrivent le 16e
territorial de Péronne, venant de Saint-Pol et Arras.
Vingt-sept septembre, au matin les territoriaux se dirigent sur Bapaume où
l'on entend la fusillade ; des allemands passent, réquisitionnent chevaux
et voitures, ce sont des traînards venant de Belgique.. 29 septembre,
on reçoit les dernières lettres parvenues à Marquion.
Vers 4 heures une division allemande entoure le village, puis se range en bataille,
direction d'Arras ; après quelques heures d'anxiété on
voit les troupes rentrer dans le village où le pillage des magasins et
des caves durera deux jours. Le 30 septembre, le colonel du régiment
de cavalerie faisant partie de la division, frappe la commune d'une contribution
de guerre de 7.000 francs.
Dans la soirée le village est évacué et les troupes laissent
derrière elle leur colonne de ravitaillement. Ces colonnes sont composées
chacune d'une quarantaine d'hommes et de trois officiers dont l'un est commandant
de place, résidant à la Commandature et assisté de gendarmes.
Tous les jours passeront des chariots chargés de blessés venant
de la direction d'Arras, on entendra le canon jour et nuit durant plus de deux
années.
Le 20 octobre les gendarmes recherchent les hommes valides ; on porte les armes
à la Commandature; le 29 octobre, on livre bêches, pelles, marteaux,
cisailles, tenailles, bicyclettes, métaux; un ordre menace les habitants
de la peine de mort en cas d'attentats sur les voies ferrées.
Le 5 novembre un régiment de la garde Prussienne qui avait essuyé
une attaque au sud d'Arras, cantonne à Quéant et Pronville, allant
vers Ypres; un soldat égare son carnet de route, rédigé
en français, il y raconte entre autres choses que son régiment
a été décimé au fort de Pompey, près de Reims,
lors de la bataille de la Marne, et mélancolique, il ajoute à
la fin de son travail: " la Belgique nous avait coûté beaucoup
de sueur, mais la France beaucoup de sang " .
Le 6 novembre on apprend que, pour consoler le Kayser de son retour forcé
vers le nord, on avait placé quelques prisonniers français sur
sa route, comme il allait près de Marquion, voir un champ d'aviation.
11 novembre. Les trains allemands circulent sur la ligne Boisleux-Marquion-Cambrai
. Le chef de gare a dû déménager; le commandant de place,
faisant faire l'ouverture d'une cassette lui appartenant et trouvée dans
la gare, crût furieux y apercevoir des cartouches. Ces cartouches étaient
en réalité des rouleaux de pièces d'or qui, bien entendu,
furent confisqués, mais leur valeur fut restituée en marks et
le commandant se contenta de donner au chef de gare le nom de " l'homme
aux petits cartouches ".
Le 29 novembre, ordre est donné de barrer les routes, on dit qu'une automobile
française aurait circulé dans le pays.
Ordre de la commandature d'étape de Bapaume: " à la suite
des réquisitions allemandes et surtout françaises, on constate
dans le pays une grande pénurie de vivres. Les anglais empêchant
la circulation des convois de vivres pour l'Allemagne on invite les maires de
s'adresser au gouvernement suisse qui, en 1870, a ravitaillé Strasbourg.
Les vivres reçus ne seront que pour les civils, les demandes doivent
être faites avant le 1 décembre ".
Le 8 décembre, l'école des enfants est ouverte. Tous les jours
un habitant doit porter du lait à l'hôpital de Croisilles. Le 6
décembre, de nouvelles colonnes s'installent et une nouvelle commandature
qui va méthodiquement organiser l'extorsion.
Le 8 décembre, la circulation est interdite entre Quéant et Pronville
sans laissez-passer. Le 9 décembre, on baptise les rues de noms allemands
et on numérote les maisons. Des magasins allemands s'installent et des
volontaires de soixante ans environ arrivent qui seront, leur a-t-on dit, employés
à garder à Arras et Paris qui sont villes prises.
Le curé fut gardé plusieurs heures à la Commandature pour
avoir sonné l'angélus du soir .
Le 31 décembre, menace de fermeture de l'église, le curé
ayant été accusé d'avoir excité ses paroissiens
contre les allemands. On reconnaît l'accusation fausse, mais à
l'avenir un officier assistera aux offices. Le 16 décembre, arrivée
de bourgeois des bords du Rhin pour la distribution aux soldats des paquets
de Noël, fournis par les allemands à leurs troupes. Ils causent,
se plaignent des gros impôts qui entravent les affaires: venus avec des
lorgnettes pour assister à des victoires, ils n'ont que la vue de quelques
aéroplanes anglais qui se promènent dans le ciel.
17 décembre, la Commandature de Bapaume ordonne aux maires, adjoints,
gardes-champêtres, maîtres d'école de reprendre leurs fonctions..
Le 22 décembre, établissement d'une compagnie d'ouvriers à
Bapaume qui seront logés, nourris et toucheront un franc par jour en
billets communaux. Les maires devront donner la liste des jeunes gens qui seront
aptes à travailler, nés depuis l'année 1895, un état
de la population et les chiffres des impôts payés pour le département
et les communes avant la guerre. (suite)